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L’insuffisance rénale chronique en Haïti, ce fardeau de plus

L’insuffisance rénale chronique désigne cet état pathologique où les reins perdent de manière irréversible, leur capacité de filtration occasionnant alors l’accumulation de déchets métaboliques dans l’organisme. La prise en charge des maladies rénales constitue un réel défi dans le monde et spécialement en Haïti, car si la mortalité avoisine les 80%, les options thérapeutiques sont d’une accessibilité qui varie avec le niveau ou l’organisation socio-économique des pays.

Regroupée parmi les maladies non transmissibles (MNT), l’insuffisance rénale chronique tend à se définir comme un fardeau de plus dans la vie d’une population qui ne dispose que de huit néphrologues pour onze millions d’habitants avec moins de dix centres de dialyse.

Vivre avec l’insuffisance rénale chronique est un challenge auquel ces malades sont quotidiennement soumis et les répercussions atteignent leur environnement direct, en l’occurrence leurs familles. Si des études abordent le côté fonctionnel de la pathologie, le coût et la disponibilité des traitements constituent un débat qui nécessite la même considération.

Ainsi, dans leur thèse pour l’obtention du diplôme de docteur en médecine à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université d’État d’Haïti, Karl Edvard Danastor et Rolph Michel ont étudié les coûts directs et indirects de la dialyse chez les insuffisants rénaux à l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) sur la période allant de janvier à décembre 2018.

L’HUEH dispose depuis 2002 d’un centre de dialyse où les dialysés qui y sont suivis bénéficient de deux à trois séances par semaines. L’hémodialyse reste aujourd’hui le seul moyen de prise en charge de l’insuffisance rénale chronique en Haïti et chaque séance a nécessairement un coût. Dans leur étude, Danastor et Michel ont considéré le coût des séances de dialyse et les coûts liés à la perte de productivité ou le temps de travail perdu par le malade ou son entourage à cause de sa maladie. Ce qu’ils définissent en coûts directs et indirects. Ainsi, ils se sont donné comme objectif dans ce travail scientifique d’estimer les coûts directs médicaux et non médicaux et les coûts indirects par patient en hémodialyse à l’HUEH.

Autant originale qu’innovante, cette étude a pris en compte le temps depuis que le patient est en hémodialyse, les prix du transport, de la nourriture, des médicaments et des examens paracliniques, le coût quand l’hôpital dispose des intrants et quand il n’en dispose pas, les coûts liés aux matériels et aux dépenses administratives et surtout le profil économique des patients.

Ayant étudié les cas de 37 patients à l’un des centres de dialyse sinon le plus fréquenté, le prix moyen lié au transport par année est de 27966 gourdes par patient contre 32183 gourdes pour la nourriture, 26000 gourdes pour les examens paracliniques et 399880 gourdes pour la médication pour une population d’étude dont le revenu annuel est en moyenne 16472 gourdes avec 32% des patients dont le revenu se situe entre 1000 et 5000 gourdes par mois. Quant au centre de dialyse, il nécessite plus de 40 millions de gourdes pour son fonctionnement annuel alors que seulement 7 millions par trimestre lui sont alloués dans le budget de l’hôpital.

Cependant, l’étude a eu l’impétuosité de considérer ces deux cas de figure: la situation quand le centre dispose d’intrants pour les séances de dialyse, un patient dépense alors en moyenne 195 000 gourdes par année pour ses soins et quand il n’en dispose pas où le patient a donc la charge de 1 800 058 gourdes en moyenne par année. La disponibilité d’intrants à l’hôpital réduit alors de 80% le coût à assumer par les patients pour leur séance de dialyse.

L’insuffisance rénale affaiblit et appauvrit les familles en Haïti. À côté des dépenses pour la prise en charge, le travail de Danastor et Michel a aussi tenu compte des retombées de la maladie sur la vie économique des patients. Ainsi, les 67,56% des patients de l’étude ayant perdu leur travail ou leur activité économique rentable à cause de la maladie ont donc perdu en moyenne 197675,64 gourdes par année et les 18,9% qui ont pu conserver leur travail malgré la maladie perdent en moyenne 4392,72 gourdes par année à cause des jours de séances de dialyse. Il faut aussi relater que 13,5 % des patients de l’étude n’ont jamais travaillé durant leurs vies, les coûts de ces séances sont alors assurés par des parents, amis ou associations caritatives qui les soutiennent.

Généralement le traitement de l’insuffisance rénale consiste en ces trois options, l’hémodialyse que nous disposons en Haïti, la dialyse péritonéale et la transplantation rénale. Il est révélé que la dialyse péritonéale amoindrit les coûts liés au temps et à l’argent par rapport à l’hémodialyse. La transplantation rénale qui n’est pas non plus pratiquée en Haïti serait le meilleur traitement.

En somme, cette étude a mis à nu la situation calamiteuse des patients avec insuffisance rénale en Haïti tout en offrant des pistes d’actions à l’état central et aux autres décideurs du système sanitaire haïtien. Elle ouvre la voie aux universitaires voulant travailler sur les retombées socio-économiques des patients vivant avec d’autres maladies, car en Haïti, la consommation des soins de santé appauvrit les familles.

Elle constituerait enfin un plaidoyer pour que d’un côté le centre reçoive le plus de financement que possible, que les matériels soient mieux gérés (4 seulement des 9 machines de dialyse du centre fonctionnent) et d’un autre côté pour que les patients en dialyse reçoivent de l’assistance économique, sociale et psychologique.

Par contre, dans une lancée pragmatique les réalisateurs du travail proposent qu’on implante la dialyse péritonéale en Haïti, qu’on envisage un plan d’assurance publique pour ces catégories de malades et qu’on investisse dans des campagnes de prévention au regard des étiologies des maladies rénales en dans le pays.

S’il est vrai que l’université est instigateur de changement dans tout pays, la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université d’État d’Haïti vient à travers ces deux médecins, offrir une voie à l’amélioration de la vie de toute une catégorie de personne dans le pays reste à comprendre l’utilisation de ces travaux de recherche de l’Université dans la prise des décisions politiques en Haïti.

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