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L’Instabilité Politique en Haïti : Une Tragédie Historique et ses Racines Structurelles

Limitless Post Haïti

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Port-au-Prince, le 20 mai 2025.-

En 111 ans d’histoire (1804-1915), un seul chef d’État haïtien, Nissage Saget (1870-1874), a terminé son mandat conformément aux règles constitutionnelles. Ce fait statistique, plus qu’un simple constat, représente une allégorie de la malédiction politique qui pèse sur Haïti depuis sa naissance. Comme l’écrivait l’historien Michel-Rolph Trouillot dans « Haiti: State Against Nation », cette instabilité chronique n’est pas un accident de l’histoire, mais le résultat d’une combinaison toxique de facteurs endogènes et exogènes qui ont façonné le destin de la première République noire.

Par Joel BIGAUD

Le régicide de Jean-Jacques Dessalines en 1806 ne fut pas simplement un assassinat politique, mais un acte fondateur qui institua la violence comme mode de transition du pouvoir. Comme le note l’historien Claude Moïse dans « Constitutions et Luttes de Pouvoir en Haïti », ce parricide symbolique créa un précédent funeste où la légitimité se mesurerait désormais à l’aune de la force brute. La suite – suicides (Christophe), exils (Boyer), exécutions (Salnave) – n’est que la répétition tragique de ce scénario originel.

La fracture nord-sud, cristallisée par le duel historique entre Alexandre Pétion et Henri Christophe, illustre ce que David Nicholls appelait « la politique de la couleur » dans « From Dessalines to Duvalier ». Cette division raciale et géographique, doublée de l’antagonisme entre militaires et civils, créa une instabilité structurelle. Comme l’observe Mats Lundahl dans « Peasants and Poverty », l’incapacité des élites à transcender leurs divisions pour construire un projet national commun transforma Haïti en une arène où s’affrontaient des clans plutôt qu’en une nation unie.

Les 22 constitutions haïtiennes entre 1801 et 1915, selon l’analyse de Jean-Claude Garcia-Zamor dans « Haitian Dilemmas », révèlent un paradoxe tragique : une prolifération de textes juridiques masquant un vide institutionnel. Comme le souligne Robert Fatton dans « The Roots of Haitian Despotism », cette inflation constitutionnelle dissimulait en réalité l’absence d’un véritable État de droit, où chaque président gouvernait comme un monarque éphémère, plus soucieux de sa survie que du bien commun.

Le prix de l’indépendance – 150 millions de francs-or imposés par la France en 1825 – selon les travaux de l’économiste Thomas Piketty dans « Capital et Idéologie », créa une dépendance économique fatale. Comme l’explique Laurent Dubois dans « Avengers of the New World », cet isolement international et cette saignée financière permanente rendirent l’État haïtien vulnérable aux ingérences étrangères, culminant avec l’occupation américaine de 1915 qui, selon Brenda Gayle Plummer dans « Haiti and the Great Powers », ne fit qu’institutionnaliser l’instabilité.

Derrière ces chiffres se cache une réalité humaine poignante. Comme le décrit Jean Casimir dans « The Haitians: A Decolonial History », la paysannerie haïtienne, exclue du pouvoir mais toujours victime de ses convulsions, développa des stratégies de résistance et de survie qui expliquent la persistance de la culture haïtienne malgré l’échec de l’État. Cette dialectique entre un État prédateur et une société civile résiliente constitue peut-être, selon les travaux de l’anthropologue Sidney Mintz, la véritable tragédie haïtienne.
Ce tableau n’est pas qu’une liste de noms ; c’est le miroir d’une nation minée par ses divisions. Pour sortir de ce cycle, Haïti doit tirer les leçons de cette histoire : sans unité nationale, sans institutions fortes et sans renoncement à la violence comme moyen politique, le pays restera prisonnier de ses démons. La mémoire de ces 111 ans doit servir de catalyseur pour un avenir où le pouvoir se transmet, enfin, dans la paix et la légitimité.

« Un peuple qui oublie son passé est condamné à le revivre. »

Joel BIGAUD
Avocat-Politologue
Etudiant Finissant en Maîtrise en Droit des Affaires parcours Droit Public des Affaires à la Direction des Études Post-graduées de L’UEH

Notice: Le tableau est du professeur Georges Eddy Lucien.

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