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L’Assassinat de Papa Dessalines : une Conspiration d’Aristocratie Indigène de toutes Couleurs

www.limitlesspost.com

Le 26 novembre 2022.-

Par Francisque JEAN-CHARLES

Introduction

              Des historiens de toutes tendances et de toutes nationalités sont souvent tentés par l’idée de faire luire la lumière sur l’événement du 17 octobre 1806, le premier coup d’État sanglant de l’histoire nationale qui voit l’assassinat lâche, horrible et crapuleux au Pont-Rouge ci-devant Pont Larnage de l’empereur Jacques 1e. A ce sujet, des thèses les unes plus instructives, édifiantes et assez convaincantes que les autres sont émises. 

En premier lieu, rappelons cette thèse noiriste de longue date faisant croire que le mulâtre Alexandre Sabès Pétion, le général de l’armée indigène Commandant du Département de l’Ouest d’Hayti, serait à lui seul l’assassin de Dessalines. 

Il y a lieu aussi de souligner à l’encre forte cette déclaration judicieuse du général Étienne Gérin, le ministre de la défense et de la Marine, confirmant sans ambages que l’assassinat de Dessalines n’était pas un acte planifié1 : « En commandant cette embuscade, j’avais donné les ordres les plus positifs de ne le point tuer, mais bien de l’arrêter pour qu’il fût jugé. Cependant, au moment que je criai : Halte ! Il se saisit d’un de ses pistolets, en lâcha un coup, et fit des mouvements pour rétrograder et se sauver. Alors partit ce coup de fusil qui l’atteignit, ensuite une décharge ; et la fureur des soldats alla au point de mutiler et d’écharper son corps inanimé »

Par ailleurs, d’après la petite histoire, « Dessalines ne serait pas  mort au Pont-rouge mais de préférence chez le général Alexandre Pétion où il aurait bu un verre de vin empoisonné servi par le prêtre catholique, Corneille Brel, en qui il avait  une grande confiance. Son corps sans vie aurait été remis à la bande de Yayou qui l’aurait décapité et découpé en morceaux pour le transporter au Pont rouge », a  écrit Yvon Charles (2021), Médiateur Social & Culturel de l’Organisation de Gestion de la Destination du Nord d’Haïti. Foutaise. Demi-vérité. Qui sait ?

              Une idiotie, ai-je répété pendant plusieurs années et si désormais suis-je détenteur d’informations pertinentes et solides qui disent autrement, par probité intellectuelle, n’ai-je pas pour obligation de les partager au grand public ? 

Ce n’est que le 19 octobre 2022 dernier que j’ai vu mon papa adoptif, le pasteur-humaniste Jean Claude Thervil posté sur son mur : « Dessalines est-il mort au Pont-Rouge ? Il est temps de corriger de telle bavure, on sait que Dessalines n’est pas mort au Pont-Rouge mais chez Pétion. Pourquoi cacher ce mystère, pourquoi enseigner à nos enfants de tels mensonges ? On doit dire la vérité et seule la vérité nous affranchira ». N’est-ce pas le professeur Noam Chomsky (1969)  qui enseigne que : « C’est la responsabilité des intellectuels de dire la vérité et de dévoiler les mensonges » 

            J’ai répondu à Papa Thervil en ces termes : « Archi-faux Papa, Dessalines est mort au Pont-Rouge et assassiné par les mercenaires militaires de l’Ouest et du Sud. Et Pétion et Christophe seraient des complices dans l’assassinat du père fondateur ». La quasi-totalité des historiens d’ailleurs sont unanimes à admettre que cet acte a été perpétré au Pont-Rouge ou Pont Lanarge.

Mon ami-frère Lou Evans Arné de la radio Ballade FM que je reconnais comme un excellent chercheur d’histoire rejette d’un revers de main ma réponse à la thèse de Papa Thervil. « Faux ! atteste-t-il. Il n’a pas été assassiné au Pont-Rouge. J’ai des documents pour preuves », dit-il. Quelles sont donc ses sources !

Lou persiste dans sa thèse noiriste : « Avez-vous lu des documents en anglais sur l’assassinat de Dessalines ? Des documents de la Grande Bretagne ». Il m’invite à ne pas croire à certains historiens comme Thomas Madiou et Beaubrun Ardouin me rappelant que : « Ils sont des historiens étudiés en France. Cessez de croire dans leurs racontars ». Même s’ils sont des historiens cadrés de l’école coloniale française, pourquoi mentiraient-ils sur l’endroit où on aurait exécuté Dessalines ? Sans doute, selon le journaliste Arné, pour protéger le présumé assassin Pétion. 

C’est le cas également d’un autre ami-frère Jean Remy Joseph, enseignant de carrière et administrateur d’établissement scolaire, qui conteste lui aussi ma réponse simpliste et qui dédouane Pétion et Christophe tout en plaidant pour une conspiration. Il écrit en effet : « PDG, le complot pour l’assassinat de l’empereur était ourdi par Pétion, Gérin, Yayou. Pétion l’avait annoncé à Christophe. Mais la petite histoire nous fait croire qu’il a été assassiné au Bel Air à sa sortie chez l’une de ses concubines ». Là, M Joseph n’accuse pas seulement Pétion mais plutôt certains généraux de l’armée indigène qui avaient des contentieux avec l’empereur. Il s’agit alors d’un complot contre l’Empereur.

M. Joseph parle de la petite histoire laquelle, à bien considérer, n’est pas de l’histoire authentique, l’histoire vraie, l’histoire officielle. « La vision des historiens eux-mêmes, écrit Seignobos, a souvent été troublée par leur propre tendance. La plupart, engagés dans les conflits de leurs temps, ont porté leurs passions politiques, religieuses ou nationales dans l’histoire du passé. Ils en ont fait un plaidoyer ou un acte d’accusation. »

Dans la même veine, l’historien-écrivain et homme d’Etat Dantès Bellegarde (1953), dans son livre intitulé « Histoire du peuple haytien » (1492-1952) nous met en garde dans la préface : « c’est la tradition orale qui nous met le plus souvent au courant des événements du passé. Nous savons quelle prudente réserve doit nous inspirer cette source de l’histoire, surtout dans un milieu où la louange intéressée et la médisance systématique trouvent tant d’oreilles accueillantes »

Des causes méconnues de l’assassinat de Dessalines

Pour Lou et Jean-Remy, il y a eu aussi des causes méconnues de l’assassinat de l’empereur. À l’occasion de la commémoration des 214 ans de l’assassinat de l’Empereur, www.historichaïti.org en a synthétisé quelques-uns en rapport avec ce régicide de l’histoire nationale.

1- Le général Vaval a participé au complot pour venger sa fille de 15 ans violée par Dessalines –Vaval, le chef des révoltés dans le Sud a participé à l’assassinat de Dessalines pour se venger de ce dernier qu’il avait hébergé en septembre 1806 et qui en avait profité pour dépuceler et violer sa fille de 15 ans.

2-  Dessalines serait mort à cause de la curiosité de sa femme – La femme de Dessalines, voulant profiter de l’absence de ce dernier, parti très tôt le 17 octobre 1806, a fait une incursion dans une chambre dont l’accès lui était interdit par l’Empereur.

Etonnée et surprise de voir son mari, couché et immobile au milieu de la salle, elle ne put s’empêcher de crier « Dessalines ». Ce faisant, elle brisa le lien de protection entre le petit bon ange et le gros bon ange de ce dernier. Ce qui fut fatal à Dessalines. 

3-  Le rôle  des sociétés secrètes vodou dans la mort de Dessalines – Dessalines, dit-on était en conflit ouvert avec certains adeptes des sociétés secrètes vodou, Chanpwèl et Bizango qui étaient au courant des secrets magiques de Dessalines. Dirigés par un houngan appelé Yayou, ils étaient présents au Pont-Rouge pour neutraliser les pouvoirs mystiques de Dessalines, le mutiler, le décapiter et partir avec sa tête.

4-   Il aurait été empoisonné Chez Pétion – D’après la petite histoire, Dessalines ne serait pas  mort au Pont-Rouge mais de préférence Chez le général Alexandre Pétion où il aurait bu un verre de vin empoisonné servi par le prêtre catholique, Corneille Brel, en qui il avait  une grande confiance. Son corps sans vie aurait été remis à la bande de Yayou qui l’aurait décapité et découpé en morceaux pour le transporter au Pont-Rouge.

Mompremier Mondésir Jean Jacques Dessalines fut lâchement et brutalement assassiné le 17 octobre 1806 au Pont Lanarge qui est devenu Pont-Rouge à cause de ce drame sanglant, atteste Yvon Charles (2021), Médiateur Social & Culturel, dénonçant certains historiens haïtiens qui ont uniquement retenu la tyrannie et la mauvaise gouvernance de Jacques 1e pour justifier son assassinat. M. Charles persiste et signe qu’il y a d’autres historiens qui ont listé les 7 causes profondes de la mort de l’empereur et elles sont les suivantes : 

  • La politique de justice sociale qu’il a prônée allait à l’encontre des desiderata des anciens libres qui voulaient s’accaparer des 2/3 des terres cultivables. Pour Dessalines les noirs devraient aussi avoir leur part. Joignant la parole aux actes, l’empereur a arrêté tout un train de mesures qui n’ont pas manqué de lui faire des ennemis acharnés.
  • La nationalisation des terres qu’il a décidée et qui a fait de l’état le seul vrai propriétaire terrien provoqua la grogne de toutes les couches sociales.
  • La vérification des titres de propriété qu’il a décrétée a permis à l’état haïtien de déposséder plusieurs anciens libres de terres dont ils se disaient propriétaires. Ces derniers sont devenus les principaux instigateurs du complot contre Dessalines.
  • Le contrôle direct et strict qu’exerçait Dessalines sur le commerce extérieur lui valut aussi des ennemis haïtiens et étrangers qui se liguèrent aussi contre lui.
  • Son refus de créer une noblesse lui attira l’animosité de la plupart de ses principaux généraux, qui, avides de pouvoirs et de privilèges n’hésitèrent pas à se joindre aux conspirateurs
  •  Le caporalisme agraire, qu’il a instauré et qui soumet les cultivateurs noirs à des règlements de culture très drastiques, a suscité le mécontentement général.
  • Le choix de son fils ainé, Jacques Dessalines, comme son successeur désigné a poussé certains généraux du Nord dont Christophe dans le camp des conjurateurs.

Et M Charles (2021), médiateur social et culturel de l’Organisation de Gestion de la Destination du Nord d’Haïti, tire sa conclusion : « On peut certes reprocher à Dessalines son radicalisme, certains aspects de sa gouvernance et son penchant à réprimer dans le sang tous ceux qui s’opposaient à lui. Mais peut-on lui en vouloir d’avoir utilisé les faibles ressources économiques de la nation haïtienne dans la construction de forteresses pour la défense de son pays ? Doit-on le condamner d’avoir opté pour le renforcement endogène de son pays et d’avoir priorisé les intérêts supérieurs d’Haïti au détriment des appétits individuels ? Tout compte fait, l’assassinat de Dessalines, bien qu’il ait assouvi certaines ambitions en 1806, a été catastrophiques pour le pays car les problèmes posés par Dessalines sont restés entiers et sont toujours d’actualité ».

Qui peut honnêtement et haytiennement décliné qu’il y a eu un complot ourdi par presque tous les secteurs de la vie nationale, voire de l’extérieur, pour éteindre le souffle de papa Dessalines ? Comment peut-on consciemment attribué la mort de Jaques 1e uniquement au général de division de l’Ouest Alexandre Sabès Pétion ? Pourquoi une telle  thèse noiriste concoctée de toutes pièces pour semer la haine et la discorde entre les noirs et les mulâtres lesquels ont scellé une union sacro-sainte en 1802 pour mener une bataille mortelle contre l’ennemi commun, les grands planteurs blancs de Saint-Domingue ? Dessalines a-t-il fidèlement respecté cette alliance vivifiante jusqu’à son assassinat ? L’aristocratie noire et mulâtre s’est-elle servie de la loyauté de Papa Dessalines pour chasser ensemble leurs pères colons pour ensuite récupérer tous les biens qui devraient appartenir à toutes et à tous ? Papa Pétion n’a-t-il pas trahi l’union en gardant le plan de l’assassinat de Papa Dessalines en secret ? N’était-il pas plutôt un complice ? In fine, qui a vraiment ôté la vie de Monpremier Mondésir Jean Jacques Dessalines au Pont Lanarge le 17 octobre 1806 ? Et si ce n’était pas Papa Pétion, le principal assassin comme on nous l’a vendu depuis belle lurette ? 

Père co-fondateur, Pétion serait-il vraiment le véritable assassin ou l’auteur intellectuel de la mort de Papa Dessalines ?

            Mises à part toute une panoplie de causes révélées sur l’assassinat de Papa Dessalines, ce que rapporte la petite histoire, on impute presqu’à l’unanimité ce crime odieux à Papa Pétion. Disons clairement qu’il serait peut-être l’auteur intellectuel de ce meurtre terrifiant lequel hante encore la mère-patrie, Hayti, aujourd’hui. Mon frère Kerlens Tilus (2018) évoluant avec chagrin, nostalgie et rancœur à New York, le futurologue, atteste dans un article publié que : « La République d’Haïti est une nation mort-née à cause du parricide de l’Empereur Jean Jacques Dessalines ». (sic)

Vertus Saint-Louis (2015) dans son livre intitulé : « L’assassinat de Dessalines et le culte de sa mémoire » note que : « la mémoire de Dessalines, réhabilitée quarante ans après sa disparition, demeure encore prisonnière de la rivalité pour le pouvoir entre le parti des noirs et celui des mulâtres. Il retient que dans les deux camps on se tait sur l’implication du commerce étranger surtout américain dans l’assassinat de Dessalines. Ce silence se comprend puisque la soumission aux intérêts économiques des étrangers est une composante essentielle du système politique haïtien ».

Saint-Louis (2015) conclut de façon nette et claire que : « l’assassinat de Dessalines s’explique par des causes internes relatives aux questions de couleur, à la propriété de la terre, et à l’exercice du pouvoir. Celles-ci s’ajoutent à d’autres concernant les relations surtout économiques d’Haïti avec le
monde extérieur ». Ainsi, pourquoi attribue-t-on exclusivement le raccourcissement de la vie de l’empereur Jacques 1e au général de division de l’Ouest, Pétion ?

Saint-Louis (2015) persiste et signe que le conflit qui a opposé Dessalines à ses adversaires pose le problème de nos relations surtout d’ordre économique avec le monde extérieur. « Au lendemain de 1804, écrit-il, Haïti produit du sucre de mauvaise qualité. Les classes dirigeantes s’appliquent à la coupe des bois pour l’exportation et se contentent de la production de tafia, à laquelle elles sont, de plus en plus, réduites depuis 1793. Dessalines veut freiner la coupe des bois pour l’exportation, cette industrie des «paresseux », dont on a constaté, depuis 1798, les progrès aux dépens des cultures. Dessalines proscrit l’établissement, sans autorisation, de nouvelles « guildives », distilleries productrices de tafia qui ne se consomme que dans le pays. Dessalines veut du sucre qui se vend à l’étranger. » Le président Thomas Jefferson rompt toute relation commerciale avec Saint-Domingue en 1805, rejoignant la France et l’Espagne dans leur hostilité à Hayti tandis que l’Angleterre recherche son affaiblissement.

L’historien haytien Alin Louis Hall (2021), ne va pas quatre chemins pour dénoncer la main invisible du gouvernement américain de Thomas Jefferson dans l’assassinat de Papa Dessalines. Il se demande perplexe : « Comment expliquer que des journaux américains annoncent déjà vers la fin de 1805 la mort imminente de Dessalines ? » En effet, dans son édition du 9 octobre 1805, le Commercial Advertiser de New York rapporte : « L’éditeur du Petit Censeur dans son dernier numéro annonce pour certaine la mort de sa majesté impériale Dessalines, Empereur d’Hayti ». Pourquoi ne dit-on pas que les occidentaux ont utilisé leurs alliés internes, déjà hostiles à Dessalines pour écourter sa vie au lieu de faire croire que le général Pétion était celui qui avait égorgé l’empereur ? 

L’expédition de Bonaparte contre Saint-Domingue et le kidnapping de Toussaint Louverture

Dans la maxime première de la République de Saint-Domingue affirmant que : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit », le Consul français Napoléon Bonaparte décida de rétablir l’esclavage pour 500.000 habitants noirs à Saint-Domingue. Thomas Jefferson, le président américain, un esclavagiste, soutint avec enthousiasme une telle initiative en déclarant que : « Rien ne serait plus facile pour nous que de fournir votre armée et votre flotte avec tout le nécessaire, et réduire ainsi Toussaint Louverture à la famine »

Le beau-frère de Bonaparte, le général  Victor-Emmanuel Leclerc, à la tête de 23.000 hommes quitta alors la France le 14 décembre 1801 pour s’emparer de l’île et éliminer Toussaint. Face à l’invasion française, le peuple noir a offert une résistance démesurée contre l’oppresseur, appliquant la politique de la terre brûlée. Face à la ténacité des habitants noirs, accablant par les maladies, le général Leclerc proposa la fin des hostilités et signa un accord de paix avec Louverture qui prit sa retraite à Ennery. 

Pris dans le piège du général Brunet, Toussaint Louverture fut arrêté, garroté comme un criminel puis séparé de sa famille et conduit en France où il fut enfermé dans un cachot au Fort de Joux dans le Jura. Le général ne résistera pas longtemps à ses conditions pénibles et inhumaines de détention et décéda le 7 avril 1803. 

Après l’éviction de Toussaint par les Français en mai 1802, écrit Saint-Louis (2006), Dessalines s’est soumis à Leclerc, chef du corps expéditionnaire français, et a participé à la répression des cultivateurs qui refusent de déposer les armes. Dessalines est perçu comme un sauveur par nombre de membres de l’aristocratie noire et mulâtre, des anciens libres propriétaires. Il est capable de mater les éléments rebelles, dits Congos, africains, tels les Sans-Souci et autres, jugés peu fiables et ressentis comme radicaux par l’aristocratie indigène qui les redoute plus que les Français. Dessalines, a commis une erreur monumentale, rappelle l’historien « en faisant éliminer les guerriers proches de Sans-Souci, (il) a fait disparaître ceux qui pourraient s’engager dans cette stratégie avec lui ».

« C’est en apprenant le rétablissement de l’esclavage à la Guadeloupe que le général Alexandre Pétion, chef du parti mulâtre, révèle www.wikipedia.org, donne le signal de la révolte, le 13 octobre 1802. À la tête de cinq cent cinquante hommes, il marche contre le principal poste français du Haut-du-Cap, le cerne, le fait désarmé et sauve quatorze canonniers que les siens voulaient égorger : l’armée des « indépendants » est alors formée. Les généraux Geffrard, Clervaux et Christophe viennent se joindre à Pétion, qui accepte de céder au dernier le commandement de l’insurrection ».

Commandant d’une batterie d’artillerie au siège de la Crête-à-Pierrot et cantonné avec sa division au Haut-du-Cap, Pétion reçut en octobre 1802 la visite inattendue de Dessalines, son adversaire de 1800 contre lequel il avait si héroïquement défendu la ville de Jacmel et de qui, il s’était rapproché au cours d’une rencontre solennelle à la chapelle Vierge Miracle de Gobert de la 1e commune de Plaisance, le 8 août 1802. Ensemble, Jean-Jacques Dessalines et Alexandre Sabés Pétion présidèrent l’assemblée de la Cour de la chapelle de Gobert et demandèrent deux choses : Primo, « l’union des noirs et des mulâtres ». Segundo, « la continuation de la lutte commencée par Boukman, Toussaint et les autres esclaves ».

Trois jours, après cette conversation secrète entre le général noir Dessalines et le leader mulâtre Pétion, rapporte Bellegarde, dans la nuit du 13 au 14 octobre 1802, Pétion aidé du général Augustin Clerveaux, prit les armes contre les Français. Le 17 octobre, ce fut le tour de Dessalines à la Petite-Rivière de l’Artibonite. L’intervention de Pétion, poursuit Bellegarde, eut pour conséquence heureuse de développer et d’accélérer le mouvement insurrectionnel. Pour avoir le premier reconnu l’autorité de Dessalines comme général en chef de l’armée de l’Indépendance, il attira à celui-ci tous les officiers mulâtres, ses anciens compagnons d’armes de la guerre. Très populaire, d’autre part, auprès des chefs de bandes, dont quelques-uns détestaient Dessalines, il put les rallier à la cause commune de la liberté. C’est ce que constate l’historien Horace Pauléus-Sannon (1925) en écrivant : 

« Dans le rapprochement (entre ces deux chefs), l’importance de Pétion était encore plus politique que militaire. Il n’était qu’adjudant général, tandis que Dessalines était divisionnaire. Mais comme mulâtre, comme homme de l’Ouest et comme ancien rigaudin, il se trouvait plus qualifié qu’aucun autre contemporain pour persuader les hommes de couleur de l’Ouest et du Sud de se rallier à Dessalines, qui allait entrainer les masses du Nord, du Nord-Ouest et de l’Artibonite sur lesquelles son influence était mieux assisse…». Pétion n’est pas accrédité pour ces gestes élogieux et héroïques.

Malgré tout, l’autorité de Dessalines comme général en chef n’était toujours pas reconnue, regrette l’historien Pauléus-Sannon au début de mai 1803. Lamour Dérance restait un adversaire de taille pour Dessalines dans la province de l’Ouest. Jusque-là, le drapeau français s’est hissé partout et Pétion attira l’attention de Dessalines à cet effet.

A la séance du 18 mai à l’Arcahaie, Dessalines proposa d’enlever la tranche blanche du drapeau français et d’inscrire sur les deux morceaux la légende : « Liberté ou la Mort ». Dessalines entendait par là, rappelle Bellegarde, non seulement écarter l’oppresseur blanc, mais symboliser par le bleu et le rouge l’union indéfectible du noir et du mulâtre. Pétion est en tout et partout avec Dessalines.

Dessalines confia au colonel Geffrard la délicate tâche de faire accepter par les indépendantistes du Sud l’autorité du général en chef et il déploya toute son énergie pour les contraindre à se rendre en octobre 1803. Port-au-Prince capitula le 10 octobre par le trio Dessalines, Pétion et Gabard et le 21 octobre, les troupes de l’Ouest et du Sud se mirent en marche pour le Nord. Et c’est sur la butte Charrier que se déroula, le 18 novembre 1803, la bataille dans laquelle les insurgés noirs et mulâtres ont bossé les fesses en 12 heures de temps de la plus puissante armée du monde. N’était-ce pas une victoire subliminale des créoles noirs et mulâtres ? Le général français Donacien Rochambeau ne préconisait-il pas officiellement la destruction en masse des généraux, des officiers et des soldats des deux couleurs ? 

L’indépendance d’Hayti étant proclamée le 1e janvier 1804, « les Haytiens ne peuvent oublier rappelle Bellegarde, que l’accord du noir Dessalines et du mulâtre Pétion au Haut-du-Cap en octobre 1802 rendit possible la constitution, au centre des Amériques, d’une nation haytienne, et que cette nation ne s’est maintenue et ne pourra se maintenir vivante et libre que par la coopération harmonieuse des éléments ethniques et des classes sociales dont elle est composée »

Jusque-là, peut-on insinuer sans préjudice et sans biais noiriste que Pétion fut un dirigeant exemplaire qui aimait et respectait son frère Dessalines ? Ne s’est-il pas  sacrifié à l’instar de Papa Dessalines pour réaliser  l’épopée de1804 ? Pourquoi afficher une telle ingratitude envers Pétion qui s’est volontairement rétrogradé en tout pour faire de Dessalines le gouverneur général à vie dans un premier temps et l’empereur d’Hayti en 1805 ? Si vraiment Pétion était politiquement ambitieux, ne pouvait-il pas exiger aux 34 généraux dont 23 mulâtres qui ont signé l’acte de l’indépendance de procéder par vote pour le poste de gouverneur général à vie ? Ne gagnerait-il pas facilement la fonction ?

L’après-guerre de l’Indépendance à Saint-Domingue ou la planification de l’assassinat de Dessalines

Dessalines, nommé le 1er janvier 1804, gouverneur-général à vie par ses collègues militaires, trouve ce titre indigne d’un chef d’Etat indépendant, se fait proclamer empereur par sa garde d’honneur. La cérémonie du couronnement a lieu le 2 septembre 1804. Il prit le nom de Jacques 1e et ne créa pas de noblesse parce que il se veut, « lui le seul noble ». La couronne était élective et non héréditaire.

Une fois les colons blancs éliminés physiquement, Dessalines se trouve seul face aux mulâtres, les bénéficiaires directs de leur disparition. En participant activement au massacre des colons (Rulx, 1945), les mulâtres ont procédé au meurtre du père blanc pour s’emparer de son bien (Descourtilz, 1935). Le colon disparu, Dessalines devient une gêne pour l’aristocratie indigène de toutes couleurs. C’est la base d’un conflit social et politique avec Dessalines qui entend que toutes les propriétés des colons exilés rentrent dans le domaine de l’Etat. 

Un arrêté de Dessalines du 2 janvier 1804 résilie tous les baux à ferme des habitations, accorde la faculté de vendre la récolte de l’année uniquement à ceux qui détenaient leurs possessions avant le 9 juillet 1803 c’est à dire avant l’époque où l’autorité de Dessalines a été effectivement reconnue sur tout le territoire de l’ancienne colonie française. Pour un tel acte en faveur de la nation naissante et en défaveur de l’aristocratie indigène, on voulait couper la tête du gouverneur général à vie. Pourquoi indexer seulement Pétion ?

La politique agraire de Dessalines, déclare l’historien Thomas Madiou, est battue en brèche par la coalition devenue possible entre tous les commandants militaires surtout ceux de l’Ouest et du Sud ainsi que tous les anciens libres, généralement mulâtres, des villes qui ont acquis des fermes et propriétés de colons contraints de s’éloigner du pays. Subitement, Dessalines se découvre une âme de l’Africain qu’il a tant combattu en la personne des cultivateurs, des Sans-Souci et autres guerriers du Nord :

« Nous avons fait la guerre pour les autres ; avant notre prise d’arme contre Leclerc, les hommes de couleur, fils de Blancs ne recueillaient point les successions de leurs pères ; comment se fait-il, depuis que nous avons chassé les colons, que leurs enfants réclament leurs biens ? Les Noirs dont les pères sont en Afrique n’auront donc rien ?…, les Vastey, les Blanchet auront mis en possession des biens de l’État les fils de colons aux dépens de mes pauvres Noirs. Prenez garde à vous, Nègres et Mulâtres, nous avons tous combattu contre les Blancs ; les biens que nous avons conquis en versant notre sang, appartiennent à nous tous ; j’entends qu’ils soient partagés avec équité » (Madiou, 1989).

Mais la confiance de l’empereur, écrit Dantès Bellegarde, n’était pas aussi bien assurée à l’égard de ses propres lieutenants. Quelques-uns ne condamnaient pas moins en secret, la façon scandaleuse dont les affaires de la nation étaient dirigées. Henri Christophe, général du Nord, jugeait de façon sévère la conduite extravagante de l’empereur qu’il voulait à tout prix remplacer. Pourquoi rend-t-on Pétion principal responsable du drame du 17 octobre 1806 ?

Déjà, le général Christophe, dans un premier temps, selon www.lenational.org, complota avec le général Nicolas Geffrard pour renverser Dessalines. La mort de Geffrard changea ses plans, mais pas ses intentions. Le général Clerveaux, le plus ancien général après Dessalines fut automatiquement nommé commandant en chef de l’armée impériale. C’est lui qui serait appelé à succéder à Dessalines, advenant la mort de l’empereur. Christophe étant le plus ancien des généraux après Clerveaux, il lui fallait éliminer ce dernier pour devenir le commandant en chef de l’armée et s’assurer d’être le successeur de Dessalines. Le général Clerveaux aurait été empoisonné par Justamont, un anglais, médecin de Christophe, délégué par ce dernier au chevet de Clerveaux. Après la mort de Clerveaux, Christophe le plus ancien général, devint commandant  en chef de l’armée impériale. Pourquoi n’associe-t-on pas la mort de Papa Dessalines à Christophe ? Est-ce parce que sa couleur épidermique est identique à celle Dessalines ?

Dessalines, raconte Bellegarde, d’une visite qu’il fit dans le Nord il était revenu, citant Madiou, « avec la conviction que son ennemi le plus redoutable était Christophe », mais la prudence lui commanda de ménager le général en chef de l’armée, à qui la garnison et la population du Cap étaient entièrement dévouées. Se débattant au milieu de ces accusations, poursuit Bellegarde, dénonciations et intrigues, Dessalines crut trouver  en Pétion – qu’il « admirait et estimait » – le seul homme qui fût capable  par son influence politique et son autorité morale, d’assurer efficacement la défense du trône. Et l’idée lui vint d’attacher à sa fortune le commandant de la province de l’Ouest en lui donnant la main de sa fille Célimène, lequel refusa. Ce refus conclut Bellegarde, choqua profondément l’empereur qui désirait montrer par une telle alliance, la nécessité d’une union étroite entre le nègre et le mulâtre, rejetant ipso facto, cette thèse farfelue qui voulait faire croire que Dessalines fut un mulâtre aux cheveux crépus. 

Papa Dessalines a perdu toute lucidité à cause du refus de Pétion qui ne voulait pas épouser Célimène parce qu’elle sortait déjà avec le Capitaine Chancy, le neveu de Toussaint Louverture, qui voulait faire d’elle sa femme. L’empereur est farouchement opposé à ce mariage. Un bruit sonore circula de partout que Célimène était devenue enceinte, arriva jusqu’aux oreilles de son père qui, vexé, a fait kidnapper le jeune capitaine et l’emprisonna. Avec un pistolet envoyé par Pétion, le capitaine Chancy, âgé de 23 ans, s’est suicidé et le cadavre fit transporter à Port-au-Prince pour lui rendre les honneurs funèbres. 

Des malintentionnés ont exploité la mort du jeune Chancy, nous dit Bellegarde, pour faire circuler le bruit qu’on voulait massacrer les hommes de couleur. Des gens de toutes couleurs qui aimaient Pétion et qui savaient que les jours de ce général pouvaient être comptés, se réunirent en grand nombre chez lui et y demeurèrent jusqu’à ce qu’on eût donné sépulture à Chancy. Dès lors, Dessalines poursuit Bellegarde, commença à se montrer sourdement hostile à Pétion. Voudrait-il assassiner Pétion ?

Par ses excès et ses violences, Dessalines avait mis le peuple tout entier dans un  état continuel d’agitation et créé même parmi ses plus fidèles lieutenants une atmosphère  de crainte et d’insécurité, confirme Bellegarde. Seul l’officier Charlotin Macardieu a eu l’ultime courage de confronter Papa Dessalines lequel exigea l’extermination d’une femme en criant : « Arrête monstre, serais-tu capable de commander la mort d’une femme innocente ? Tu as mis les choses dans un tel état que bientôt  je serai contraint de me faire immoler pour toi ». Pourquoi personne n’a jamais confirmé que Dessalines voulait peut-être écourter la vie de Pétion ? N’avait-il pas des raisons valables et justifiables pour le faire assassiner ?

Des pays occidentaux nourrissaient aussi l’idée d’immoler Papa Dessalines. Depuis son indépendance rappelle Kémi Séba (2022), le père du Panafricaniste, « les États-Unis ont délibérément persécuté, isolé, humilié, asphyxié par l’élite occidentale, particulièrement les élites françaises et américaines – violeurs politique, économique et pluriséculaire »


L’assassinat de Dessalines 

Bellegarde a écrit dans le chapitre IX se son livre intitulé « Gouvernement de Dessalines », « La révolte que tout le monde attendait en se demandant si elle partirait de l’Ouest, du Nord et du Sud, éclata en octobre 1806 à Port-Salut »

Il faut bien éviter de se méprendre. Dessalines s’est fait de puissants ennemis en osant, lors d’une tournée, faire passer les hommes du sud sous ses fourches caudines, leur faisant subir les pires vexations et humiliations, en détruisant leurs guildives, des tas de campêches… Il avait d’ailleurs sans rechigner et en cavalier sans peur ni reproche assumé son forfait, s’il faut se rappeler l’avertissement fait au Colonel Lamarre : « Mon fils, dit-il, tiens prête la 24e demi-brigade, car après ce que je viens de faire dans le Sud si les citoyens ne se soulèvent pas contre moi c’est qu’ils ne sont pas des hommes. » 

Que dire aussi de l’animosité créée par Dessalines à la faveur d’une politique de contingentement des produits sucre, café et coton imposée aux commerçants étrangers lesquels vont financer la révolte pour se débarrasser de l’Empereur, cet empêcheur de tourner en rond?

Dessalines avait-il le soutien de sa classe sociale qui lui reprochait son caporalisme agraire et qui manifestait leur mécontentement contre le système portionnaire inique appliqué qui n’accorde que le quart des récoltes aux cultivateurs sur les habitations. On doit comprendre pourquoi le 17 octobre 1806 les masses ont laissé faire et se rendent consciemment ou inconsciemment complices de son élimination.

Soyons honnête et impartial, malgré notre penchant dessalinien, sans équivoque, à reconnaitre que le pays entier nourrissait l’idée d’abattre l’empereur même si ce serait à titre individuel. « On peut constater une sorte d’unanimité dans les sphères du pouvoir politique et religieux en Haïti dans le culte de Dessalines. Cette unanimité n’a pas existé en 1806, Dessalines ayant été alors une figure de division parmi ses compatriotes qui ont organisé son assassinat » (De Pradine, 1886).

En apprenant la nouvelle de l’arrestation de Moreau Herne le 13 octobre 1806 dans une lettre qui lui a été adressée par Papalier et G. Lafleur, Dessalines s’était écrié : « Je veux que mon cheval marche dans le sang jusqu’au poitrail ! » Un tel message barbare ne remettrait-il pas les anciens ennemis sur leurs gardes ? Resteraient-ils leurs bras croisés et le laisser faire ?

L’empereur Dessalines, en colère, confia le commandement de la ville impériale au général de division Vernet, ministre des finances, secondé du général Cangé, et se mit en route le 17 octobre 1806, après avoir avisé le général en chef Henri Christophe de l’événement. À son passage à Saint-Marc, l’empereur ordonna au bataillon de la 4e de le suivre et y trouva l’officier Delpech cantonné à Petit-Goâve, qui a fui son poste, pour venir dire à Dessalines, que l’entrée de Port-au-Prince était piégée. Mais Dessalines n’a accordé aucune valeur à cet avertissement fait en acte de reconnaissance envers l’empereur. Il n’a pas écouté non plus son conseilleur spirituel Grann Guiton qui lui avait dit s’il montait à Port-au-Prince, il n’allait pas y revenir. L’heure de sa traversée était-elle sonnée ?

 À l’Arcahaie, Dessalines se fait précéder par les six compagnies d’élite de la 3e demi-brigade sous le leadership du colonel Thomas Jean (noir), le chef de bataillon Gédéon (noir) et au capitaine de grenadiers Nazère, l’un des vaillants officiers de la 3e« s’ils se sentaient le cœur de marcher dans le sang jusqu’aux Cayes » (Beaubrun Ardouin, 1853), leur donnant l’ordre de l’attendre au Pont-Larnage, à  quelques minutes de Port-au-Prince. Quel langage provocateur et barbare émanant d’un général de l’armée indigène dont tous les troupes étaient sur son leadership jusqu’au 17 octobre ? Papa Dessalines, pourquoi une telle haine envers ses pairs, noirs et mulâtres, pour juste l’arrestation d’un proche dont vous ignorez encore la raison ? Que se passait-il réellement dans votre caboche ?

Le colonel Thomas Jean et le chef de bataillon Gédéon de la 3e, une fois arrivés au Pont Larnage furent arrêtés comme prisonniers, sont invités à prendre parti avec les insurgés dirigés par les généraux Gérin, Yayou et Vaval. Jean et Gédéon voulaient d’abord avoir l’aval du général Pétion qui les démontra la pénible et impérieuse nécessité qui l’avait porté, lui-même, à se joindre à l’armée du Sud, en les engageant à suivre le même parti. Peut-on déduire ici, sans biais noiriste, que Pétion s’est fait complice des futurs assassins de Papa Dessalines, mais n’était pas directement, lui-même, l’assassin ou le cerveau de cet assassinat ? Peut-on parler ici de la traitrise de Pétion ? Certainement. Était-il aux commandes des opérations insurrectionnelles ? Carrément non. Gérin, ministre de la Guerre et de la Marine, y était ?

Pourquoi ne parle-t-on jamais de la traitrise du chef de bataillon Gédéon à qui Papa Dessalines confia une tâche et l’a vendu aux insurgés Gérin (mulâtre), Yayou (noir) et Vaval (noir) lequel déclara que l’empereur Dessalines lui avait dit qu’il voulait l’apercevoir debout, au milieu de la 3e, sur le Pont-Larnage, quand il arriverait sur la grande route ? L’historien Timoléon C. Brutus a dénoncé avec sévérité l’acte traitrise de cet assassin Gédéon qui « livra  aux insurgés le secret de l’empereur et permit le drame sanglant du 17 octobre 1806 ».  

Gédéon s’est fait volontairement remplacer par un autre insurgé de manière à piéger l’empereur. Même des cultivateurs dans la Plaine du Cul-de-sac, les bandes à Petit-Noël étaient au courant des préparatifs pour l’élimination physique de Dessalines. Les vodouisants étaient eux aussi hostiles à Papa Dessalines pour avoir poursuivi avec acharnement les sociétés secrètes. Comme dit l’historien Thomas Madiou : « On mettait en pratique les superstitions africaines…Dessalines vint avec un bataillon, cerna le lieu où se trouvaient réunis les Vaudous, ordonna de faire feu sur la case, les dispersa et en prit cinquante qu’il tua à coups de baïonnettes ». Ainsi, serait-une exagération, aimables lectrices et lecteurs, d’insinuer que l’assassinat de l’empereur Jacques 1e fut un vaste complot ourdi par presque tous les secteurs de la vie nationale ? 

Distinguant de loin la silhouette de l’officier qu’il prenait pour Gédéon, raconte Bellegarde, Dessalines s’avança sans méfiance et au milieu des troupes, le colonel Léger, son aide de camp, qui avait servi dans le Sud sous Geffrard et Gérin, reconnut des militaires de la 15e et de la 16e brigades et lui dit : « Mais, Sire, ce sont les troupes du Sud ! — Non, répondit l’empereur, cela ne peut être : comment pourraient-elles se trouver ici ? » Et, Gérin, accompagné des généraux Yayou et Vaval, cria d’une voix forte : « Halte ! Formez le cercle ! ». Où était Pétion ? Ce n’était pas un lâche, il ne se cachait jamais. 

Réalisant qu’il est pris dans un guet-apens, Dessalines cria : « Je suis trahi » et tournait son cheval pour rebrousser sur la route, quand un jeune soldat de la 15e brigade, nommé Garât (noir), sur l’ordre d’un sous-officier, lâcha son coup de fusil dont la balle atteignit le cheval qui s’abattit. C’est alors que Dessalines cria encore une nouvelle fois : « À mon secours, Charlotin ! » pour l’aider à se dégager sous le cheval. En le voyant renversé par terre, Charlotin Macardieux se précipita de son propre cheval, et vint pour le relever. Le colonel Macardieux mourut, dit Madiou « la tête fendue d’un coup de sabre »

Quand il vit Garât abattre l’empereur, dont il avait été si longtemps le conseiller perfide, l’adjudant-général Etienne Mentor (noir) qui avait promis ses services à Christophe, dit à pleine voix : « Vive la liberté ! Vive l’égalité ! Le tyran est abattu ! ». Pourquoi n’accuse-t-on pas aussi Mentor, Yayou, Gédéon, Gérin, Vaval d’être eux-aussi les assassins de Dessalines ? Voudrait-on plutôt insinuer qu’ils travaillaient tous au profit du général de l’Ouest Alexandre Sabés Pétion ?

Les actes horribles et barbares perpétrés après la mort de Dessalines prouvent indubitablement que ses ennemis étaient nombreux

Dessalines, le fier et intrépide Dessalines, rapporte Beaubrun Ardouin, tombant mort par les balles de ces troupes haïtiennes avec lesquelles il avait conquis l’indépendance de son pays, on devait s’arrêter à cet épouvantable attentat. On assura à cette époque, que plusieurs officiers supérieurs tracèrent le funeste exemple d’une fureur impardonnable, sur le cadavre du chef qu’ils avaient tant redouté : 

  1. que le général Yayou et le chef de bataillon Hilaire Martin, de la 16e, lui portèrent plusieurs coups de poignard ; 
  2. que le général Vaval voulut décharger sur lui ses deux pistolets, qui ratèrent ; 
  3. et que le chef d’escadron Delaunay fendit la tête de Charlotin d’un coup de sabre, peut-être en ne voulant que frapper aussi le cadavre de l’empereur. 

« Comment les soldats eussent-ils respecté le corps de Dessalines, après cette fureur des chefs ? Ils lui coupèrent les doigts pour prendre ses bagues de prix ; ils le dépouillèrent de ses vêtements, ne lui laissant que sa chemise et son caleçon ; ses armes, pistolets, sabre, poignard, devinrent la proie des pillards. Le général Yayou ordonna aux soldats d’emporter le cadavre en ville, sur la place d’armes, en face du palais du gouvernement. Dans ce trajet d’une demi-lieue, ce cadavre fut incessamment jeté comme une pâture à la foule qui accourait de tous côtés ; et chaque fois qu’il en fut ainsi, on lui portait des coups de sabre, on lui jetait des pierres. Pétion instituait-il personnellement l’ordre aux généraux et aux civils de piller la dépouille de l’empereur ? »

« Ce corps inanimé, mutilé, percé de tant de coups, à la tête surtout, était à peine reconnaissable ; il resta exposé sur cette place d’armes jusque dans l’après-midi, où une femme noire, nommée Défilée, qui était folle depuis longtemps, rendue à un moment lucide, ou plutôt mue par un sentiment de compassion, gémissait seule auprès des restes du Fondateur de l’indépendance, lorsque des militaires, envoyés par ordre du général Pétion, vinrent les enlever et les porter au cimetière intérieur de la ville, où ils furent inhumés. Défilée les y accompagna et assista à cette opération ; longtemps après ce jour de triste souvenir, elle continua d’aller au cimetière, jetant des fleurs sur cette fosse qui recouvrait les restes de Dessalines. Quelques années ensuite, Madame Inginac y fît élever une modeste tombe sur laquelle on lit cette épitaphe : « Ci-gît Dessalines, mort à 48 ans ». »

« Si, dans l’intérieur de la ville du Port-au-Prince, l’anxiété publique était grande lorsqu’on apprit la présence de Dessalines à l’Arcahaie ; si elle augmenta, quand circula la nouvelle de son arrivée au Pont-Rouge : en apprenant qu’il avait péri dans l’embuscade, ce fut une joie frénétique, universelle ; citoyens et soldats poussaient des cris d’allégresse dans les rues. L’adjudant-général Bonnet, à la tête de la cavalerie, les parcourut aux cris de : « Vive la liberté ! Le tyran n’est plus ! » Tous ceux qui l’entendaient applaudirent, en répétant ces cris de triomphe. Et « Le 18 octobre, un Te Deum fut chanté, dit la Relation de la campagne, pour célébrer cette mémorable journée (celle du 17) qui a vu finir la tyrannie et renaître la liberté. » » Pourquoi Pétion exigeait-il l’inhumation des restes de l’empereur ?

Ce même jour, ou peut-être la veille, le 17, on rédigea l’acte intitulé : Résistance à l’Oppression, qui fut antidaté cependant du 16. En voici le premier paragraphe de cet acte scandaleux : « Une affreuse tyrannie, exercée depuis trop longtemps sur le peuple et l’armée, vient enfin d’exaspérer tous les esprits et les porter, par un mouvement digne du motif qui le fit naître, à se lever en masse pour former une digue puissante contre le torrent dévastateur qui le menace ». Était-ce Pétion le rédacteur de cet acte répugnant ? Était-ce lui qui l’a lu au grand public ? Était-ce lui, in fine, qui a décidé de ne pas chanter les funérailles de Papa Dessalines ? Pourquoi on lui impute à lui seul l’assassinat de Papa Dessalines ?

Pétion, aux funérailles le 17 janvier 1807 de Charlotin Marcadieux, accusa nommément le général Christophe dans l’assassinat de François Laurent dit Cappoix ; il écrit : « Si vous n’avez pas été directement l’auteur de la mort du général Cappoix, qui venait de combattre les Espagnols à la frontière, au moins vous en avez été l’instrument ; et certes, vous pouviez le sauver. » Et toujours aux funérailles, « le général Pétion, jetant un regard courroucé sur Mentor et Boisrond Tonnerre, dit que Charlotin avait été le seul des favoris de Dessalines qui n’eût pas cherché à l’égarer. » Ne s’était-il pas dédouané lui-même de cet acte horrible et terrifiant ?

Conclusion : Qui a vraiment assassiné Papa Dessalines ?

La thèse de Me Fresnel Jean parait être la plus cohérente et la plus logique pour ne pas dire la plus véridique. Pour l’avocat militant Me Jean, évoluant dans la cité de Valparaiso, il croit sans ambages que : « le général Pétion a peut-être trahi l’empereur Jacques 1e en gardant le silence sur son assassinat dont il était au courant…Il peut être un complice et non le véritable et principal assassin »

Répondant à cette question de l’auteur de cet article : Était-ce Pétion l’assassin de Dessalines ? Le travailleur social de son état, Me Fresnel Jean répond sereinement : « Quant à la mort de Dessalines, on ne peut pas innocenter Pétion. Il a joué un certain rôle et aurait participé au complot visant à son élimination. Mais il n’en a pas été l’auteur principal. Le Général Etienne Gérin ministre de la guerre et de la marine de l’empereur avait publiquement revendiqué ce crime à l’élection de Pétion : j’ai dressé l’échelle, dit-il, et mademoiselle Pétion montait dessus. Étienne Gérin serait alors le chef du complot et l’auteur de cet assassinat qu’il n’a pas bénéficié »

Dantès Bellegarde (1953), dans son livre intitulé « Histoire du peuple haytien, 1492-1952 » accuse sans équivoque l’aristocratie indigène dans cet assassinat crapuleux. Il conclut en ces termes : « La vérité historique nous oblige à reconnaitre que noirs et mulâtres, rassemblés autour de Dessalines ou ligués contre lui, ont leur part de responsabilité dans les événements douloureux des premières années de notre histoire, de même qu’ils avaient eu leur part des actions glorieuses qui conduisirent Hayti à l’indépendance. S’ils sont pour nous des coupables pour avoir participé, de près ou de loin, au crime du Pont-Rouge, nous ne pouvons pas non plus oublier qu’ils sont – eux aussi – des héros pour avoir combattu et souffert afin de rendre possible l’événement grandiose du 1e janvier 1804 »

Et s’il n’a jamais eu un plan concocté pour assassiner l’empereur Jacques 1e mais seulement des souhaits individuels de plusieurs généraux, noirs et mulâtres et de certains affranchis et cultivateurs. Précisons avec cette déclaration combien significative du ministre de la guerre et de la marine, le général Étienne Gérin, dans une correspondance adressée à Pétion le général en chef de l’armée indigène. Peut-on en déduire à partir de cette explication judicieuse ci-dessous qu’il n’a jamais eu une planification parmi les insurgés pour assassiner Dessalines qu’ils appelaient « notre Néron » ? On peut toujours se tromper.

Lisons cette partie combien informative et instructive de la lettre de Gérin. « En commandant cette embuscade, j’avais donné les ordres les plus positifs de ne le point tuer, mais bien de l’arrêter pour qu’il fût jugé. Cependant, au moment que je criai : Halte ! Il se saisit d’un de ses pistolets, en lâcha un coup, et fit des mouvements pour rétrograder et se sauver. Alors partit ce coup de fusil qui l’atteignit, ensuite une décharge ; et la fureur des soldats alla au point de mutiler et d’écharper son corps inanimé »

Pourquoi n’y avait-il pas une fusillade collectivement musclée une fois que Jacques le  tombait dans le guet-apens ou toutes les troupes s’étaient abritées derrière les arbres des deux côtés de la route ? Pourquoi seulement Garat a tiré un coup de fusil ? Et cet ordre venait de qui exactement ? Et pourquoi Pétion n’était-il pas lui-même au pont Lanarge pour assister à l’assassinat de l’ennemi qu’il détestait tant ? En quête de la vérité et au risque de se tromper. 

Imputer exclusivement au père co-fondateur Pétion cette canaillerie du 17 octobre 1806 advenant au pont Lanarge serait une plaisanterie de mauvais goût ? Les promoteurs de cette thèse nous prennent-ils tous pour des canards sauvages ? D’autres généraux, certains affranchis et des secteurs du vaudou, velléité individuelle ou collective, caressaient l’idée d’éteindre le souffle de Dessalines qu’ils qualifiaient de despote, de tyran sanguinaire. 

L’haytienne Letitiah Sept (2012), répondant aux accusations fantaisistes et sans l’ombre d’un doute, ajoute plus d’incertitudes. Se basant sur l’amour indéfectible des signataires de l’acte de l’indépendance, elle écrit que : « Dessalines était certainement très populaire en son temps. J’ai dit « certainement » dans la mesure où Christophe, Geffard, Pétion, Gabart, Vernet, Clerveau, etc, se sont mis d’accord pour le nommer Commandant en chef ».

« Cependant, reconnait-elle, le Général Dessalines avaient bien des ennemis, là où l’on ne penserait pas. Tout d’abord, il s’était fait des ennemis mortels parmi les gens du Sud, anciens Affranchis, pas seulement mulâtres. Les survivants des bandes à Dieudonné, Lamour Dérance, Romaine la Prophétesse, Petit-Noël Prieur, Goman, etc… »

Les héros de l’Indépendance avaient leurs différences, leurs faiblesses et leurs imperfections. Mais n’est-il pas « malsain d’aborder l’histoire d’Hayti en termes de « Pro-Pétion », « Pro-Dessalines » ou « Pro-Christophe »  se demande-t-elle perplexe avant de conclure « qu’aucun Haytien d’aujourd’hui n’est qualifié pour contester le nationalisme des pères fondateurs d’Hayti ! »

Au 21e siècle, plus de 216 ans après l’événement de Pont-Rouge, on continue à se battre mortellement pour savoir si le père fondateur Dessalines fut assassiné par le père fondateur Pétion. Peu importe l’assassin de l’empereur, l’indépendance n’a pas abouti et l’application de l’Idéal dessalinien – l’Unité, l’Intégrité, la Souveraineté nationales, la Justice sociale et la Production de richesses nationales – n’ont  jamais été d’application. Et aujourd’hui, le docteur Jean Fils-Aimé croit éperdument que toutes les conditions sont réunies pour une nouvelle Vertières.

L’indépendance d’Hayti a été considérée comme une « une anomalie, une menace et un défi », pour reprendre la trilogie de l’historien afro-américain Rayford W. Logan. Le congolais Nysymb Lascony ne pouvait être plus juste en déclarant que : « Hayti a vaincu le maître, les serviteurs finissent par avoir la haine de celui qui a vaincu le maître ». Malheureusement, les descendants des pères fondateurs, Pétion ou Dessalines, ont été et sont encore les chevaux de Troie de « l’Assemblée des Nations Malveillantes » (Dr Jean Fils-Aimé, 2022). Quelle traitrise ! 

Ces politiciens malhonnêtes et égoïstes ont vendu, âme et conscience, pour atterrir le plan macabre du trio infernal Washington-Ottawa-Paris depuis le 23 janvier 2003, à savoir « suspendre l’indépendance d’Hayti » via l’Initiative d’Ottawa. On aura besoin de « la vie des morts pour vivre dans l’esprit des vivants » (Marjorie Modesty, 2022). Pères fondateurs Pétion et Dessalines, dans le monde des esprits, sont à l’unisson avec les Loas Ginen sous la direction de Lavilokan, pour doter la mère-patrie d’un révolutionnaire charismatique, un homme d’État exceptionnel et un dirigeant inflexible pour chapeauter dix royautés départementales pour une transition de rupture de 3-5 ans. F. Jean-Charles, Le Novateur#422, 20 novembre 2022

Références :

  1. Beaubrun Ardouin, Étude. Dezobry et E. Magdeleine, Lib.-éditeurs, 1853 (Tome 6, p. 332-390).
  2. Dantès Bellegarde. Histoire du Peuple Haytien (1492-1952)
  3. www.lenational.org
  4. https://books.openedition.org. L’énigme haytienne – Chapitre 3  (Pauléus-Sannon)
  5. https://fr.facebook.com » ayitidecouverte
  6. www.historichaiti.org. Yvon Charles (2021). Médiateur social et culturel de l’OGDNH
  7. Timoléon C-Brutus. Dessalines a parlé (1948), citant Dantès Bellegarde
  8. Thomas Madiou (1989). Histoire d’Hayti (Texte Imprimé III). Tome III (1803-1807)
  9. Vertus Saint-Louis (2015). L’assassinat de Dessalines et le culte de sa mémoire.
  10. www.wikipedia.org

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