Il fallait s’y attendre !
L’année 86 marque la fin d’une période autoritaire. Elle s’ouvre sur une nouvelle ère. La marche progressive d’Haïti vers une démocratie qui ne dit pas son nom. Une démocratie qui défie l’entendement humain. Une démocratie où la déshumanisation de l’homme avance, lentement mais surement, vers une forme de gouvernance inique dénouée de toute moralité, où l’immoralité, pour dire mieux, l’amoralité devient un principe directeur de la gouvernance.
La Constitution de 1987, empreinte d’espoir et d’espérance, a vite désenchanté les esprits de bonne volonté qui voulaient voir poindre à l’horizon un changement réel dans la gouvernance en Haïti. Je dirais un correctif dans la manière de faire. Une pensée plurielle, tolérante à l’instar de la Démocratie pratiquée par les pays qui ont su maintenir un degré de développement au bénéfice du plus grand nombre, au bénéfice des oubliés des temps modernes, les damnés de la terre pour rejoindre Frantz FANON.
La modernité, certes, a créé des disparités, un fossé entre riches et pauvres, Mais les pays dits démocratiques et civilisés ont créé des placebos pour adoucir la misère du peuple en instaurant un système de sécurité sociale, un système de pleins emplois pour permettre de soulager la misère du peuple.
Des politiques publiques sont mises en place pour aider la classe moyenne, les fils et filles des classes défavorisées jouissant de certaines intelligences innées à accéder à la richesse car selon les principes posés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme « nous sommes tous nés libres et égaux en droits ».
Cette égalité fictive inscrite dans la durée a permis, à compétence égale, à nombre de fils de paysans, des déshérités du sort, à accéder à certaines richesses pour avoir suivi les chemins de l’école, de l’éducation et des universités. Non, mille fois non ! L’avenir de nos jeunes ne saurait passer par les « barricades ». Ils ont aussi le droit d’aller à l’école, d’obtenir un enseignement de qualité, afin de donner leur cote part à l’édification de notre chère Haïti. Pour y parvenir, l’Etat doit prendre ses responsabilités comme dans tous les pays développés qui, à un moment de leur histoire, ont jeté leur dévolu sur une éducation sans faille au bénéfice des jeunes et du plus grand nombre.
Haïti doit nécessairement emboiter le pas. Nous ne sommes ni une République bananière, ni un peuple de barbares. Comme dirait le leader Maximo dans un de ses discours sur Haïti : « dans un pays où il y a beaucoup d’hommes sans honneur, certains portent l’honneur de beaucoup ».
C’est vrai ! Nous n’avons rien demandé à Dessalines, à Christophe, à Pétion ou à Toussaint Louverture ! Mais ces noms ont fait l’honneur de la race. Ils nous ont légué un patrimoine que nous partageons avec l’humanité. Celui de « la négation de l’exploitation de l’homme par l’homme » ! Ce qui nous a valu d’être « le pays où la liberté se mit debout pour la première fois », pour parler avec Aimé Césaire.
Pourquoi sacrifier ce rêve de liberté, ce rêve qui a embrasé l’Amérique Latine ? Ce rêve qui, jusqu’à date, a fait la fierté de la République Bolivarienne et tant d’autres encore ! « Shame on you » ! La génération des hommes et des femmes politiques d’après 1986 a jeté honte et désespoir sur les aspirations de la jeunesse. Haïti doit se mettre debout une nouvelle fois ! Nous voulons une autre classe de dirigeants, de vrais leaders. Des hommes et des femmes jouissant de très grande moralité et du respect de la chose publique. Des leaders qui nous diront les choses telles qu’elles sont. Des hommes et des femmes qui vont travailler pour le redressement des institutions publiques, une éducation universellement reconnue pour la formation de nos jeunes et surtout le respect des anciens qui font la différence et enfin pour « l’amour de la patrie ».
L’Haïtien doit avoir la force et le courage de reprendre confiance en son pays. Nous n’avons pas de pays de rechange. Nous sommes « un peuple de juifs errants » partout où nous sommes. Fils de « Cham » ou encore la 12e Tribu perdue d’Israël, il est temps de rentrer chez nous, Haïti ! Le pays a besoin de nous pour sa reconstruction. Les Haïtiens du pays en dehors, les Haïtiens du pays en dedans, les Haïtiens de la Diaspora, unissons nos forces pour dire « non » à cette descente aux enfers. Il y a longtemps que nous avons touché le fond. Et nous ne pouvons plus continuer à creuser. Il faut cet élan de patriotisme pour dire « non » à la « voyoucratie ». L’exemple que nous montrons à la jeunesse est tout, sauf la démocratie.
La Démocratie ne peut pas se construire sur le mensonge, l’obscurantisme, le « ôte toi que je m’y mette », la haine, le dénigrement, l’égoïsme, la corruption, la diffamation, la destruction systématique des idées et des réalisations des autres, les primes à la médiocrité et à l’ignorance.
La démocratie se construit sur le dépassement de soi, la mise de côté de l’orgueil, la volonté de vivre ensemble, des alliances politiques pour un lendemain meilleur pour le plus grand nombre et surtout pour le pays.
La politique pratiquée de 86 à nos jours, messieurs et dames les leaders politiques improvisés, ne peut nous conduire nulle part. Elle est empreinte de vandalisme, de barbarie, de la négation de l’intelligence.
La jeunesse n’a plus de repère. Des zenglendos aux attachés, des attachés aux armées cannibales ou encore « Domi nan bwa » ! de l’Opération Bagdad à l’occupation ! de l’occupation à la nouvelle plaie du siècle « le Kidnapping », du Kidnapping aux gangs organisés ! La jeunesse est aux abois. Elle ne sait plus à quel saint se vouer. Plusieurs, que dis-je, un nombre incalculable de jeunes s’en est allé !
Toutes les institutions, symboles de la Démocratie ont perdu leurs lettres de noblesse. « Tout voum se do ». N’importe qui peut devenir n’importe quoi : Député, Sénateur, Magistrat et j’en passe. Il suffit d’avoir le titre de « militant ».
Mais Bon Dieu ! La militance n’est pas un diplôme encore moins un métier ! Pourquoi avez-vous trahi ce peuple ? pourquoi avez-vous trahi la jeunesse ? il est temps de remettre les pendules à l’heure ! Le verdict de l’Histoire sera sans appel. Le pays ne peut pas continuer à s’autodétruire. La barque est au fond de l’eau. On ne peut plus « naje pou’n sòti ». Il nous faut des hommes et des femmes compétents. Des hommes et des femmes intègres ! Des hommes et des femmes au-dessus de tout soupçon. Des hommes et des femmes qui croient dans les valeurs de la République, dans la moralité orthodoxe. Des hommes et des femmes dont la colonne vertébrale n’a point subi l’usure de temps et la politique d’asservissement instaurée par les pouvoirs qui se sont succédés de 1986 à nos jours.
L’effondrement de ce pays est le résultat des agissements négatifs d’hommes et des femmes politiques dont la colonne vertébrale usée par les intempéries et les avatars politiques, sont obligés de ramper comme des invertébrés, ou se prostituer pour un poste dont ils n’ont même pas la compétence pour l’exercer. La jeunesse mérite mieux que cela messieurs les donneurs de leçons, les accidents de l’histoire qui ont été propulsés aux timons des affaires pour s’enrichir et jeter des excréments humains aux frontispices du Parlement, le Temple de la Démocratie.
L’Amérique vient de nous donner un exemple à suivre. Les profanateurs du Capitol ont été poursuivis, capturés et châtiés au nom de la Démocratie fondée sur des principes et sur des lois. Les lois de la République doivent être respectées, messieurs les leaders politiques, au péril de notre vie. Comme a dit Robespierre « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ». Militants, Parlementaires, Magistrats assis, debout ou élus, Avocats, Professionnels de tous ordres, commerçants, industriels, travailleurs de tous secteurs, fonctionnaires de hauts rangs, la République s’adresse à vous ! La Démocratie a ses principes. La société est dynamique. L’histoire ne retourne jamais en arrière. La République va vous juger. Qu’avez-vous fait de ce passé glorieux légué par nos Ancêtres ?
« Nou pap Domi » ! Mais réveillez-vous enfin ! Tant de slogans négatifs qui nous empêchent de nous unir. Tant de verbiages qui nous font revenir en arrière. Tant de vains mots qui nous font porter notre pays, notre patrie sur le tombeau des sacrifices ! Combien de générations avons-nous sacrifiées au bénéfice de nos intérêts personnels, nos intérêts mesquins ? Halte là ! Aucun jeune au-delà de 18 ans ne veut ou ne peut plus rester au pays par absence d’horizons ou perspectives ! C’est le temps des additions ! C’est le temps des redditions de comptes ! chaque clan politique doit mettre humblement sur le tapis tout le mal causé à notre patrie commune. C’est le temps des « mea culpa » nous devons tous avoir l’humilité de présenter la somme de nos erreurs qui ont conduit notre pays dans cette hécatombe. La somme de nos contradictions qui ont conduit notre patrie dans ce capharnaüm ! A qui en est la faute ? A l’Opposition, à ceux qui ont gouverné ou qui gouvernent encore le pays.
Notre pays s’enlise dans une situation apocalyptique donnant l’impression d’un Etat détruit par la guerre. Et quelle guerre ! le temps est à l’heure de stopper l’hémorragie, de panser les blessures. Le pays en a marre ! J’en ai marre de vivre dans un pays qui évolue à la risée du monde entier ! Le pays le plus pauvre de l’hémisphère. Le pays où sur les cendres de la pauvreté, il y a encore des hommes et des femmes, des leaders improvisés qui pensent qu’il y a encore des miettes à ramasser à coups de fusils.
Et je termine mes propos en disant : « honte à vous hommes et femmes politiques sans pudeur » ne savez-vous pas « qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Catholiques, protestants, militants et vaudouisants ! Que reste-t-il d’Haïti ? Que reste-t-il de notre pays ? Le temps est à la réflexion ! Le temps est au dialogue, un dialogue inter-haïtien ! Citoyens toutes tendances confondues, hommes et femmes politiques, cessez de penser à vos intérêts mesquins, pour une fois pensez à notre patrie commune, notre chère Haïti ! Le Corona nous a montré l’exemple : soit on crève, soit on trouve la guérison sur place ! A nous de choisir ! Il est encore temps ! Le déluge apocalyptique est imminent.
Price CYPRIEN, Avocat
professeur à l’Université d’Etat d’Haïti (UEH),
Ex député (50ème legislature)
Ancien Président de la Délégation du Parlement haïtien à l’Assemblée Parlementaire Paritaire ACP-Union Européenne,
Membre Fondateur du Parlement Mondial pour la Tolérance et la Paix.